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Les facteurs de changements en psychothérapie : le regard de la série Maniac

Introduction

Cette série sortie en 2018 sur Netflix nous plonge dans un parcours de guérison psychique ultramoderne de deux protagonistes ayant d’importants problèmes de santé mentale. À travers cette histoire, cette série propose un regard sur la psychothérapie, et fait écho aux possibles facteurs de changement.

Owen et Annie sont deux individus d’une trentaine d’années. Le premier est issu d’une riche famille dont il se sent isolé et exclu. En plus de voir un frère imaginaire lui expliquant jour après jour qu’il y a une trame cachée dans l’univers et qu’il est voué à de grande chose, Owen souffre de l’indifférence qu’il génère aux yeux de ses proches. Il a l’impression de ne compter pour personne.

La seconde protagoniste est Annie, une jeune femme impulsive hantée par la mort de sa sœur, dont elle se sent cruellement responsable. Elle est aussi isolée socialement et a une grande peur de l’abandon. Elle tente d’éviter de souffrir en se droguant avec une molécule produite par le laboratoire Aberdine.  Cette drogue a la propriété de faire revivre l’événement le plus traumatique pour son utilisateur. Pour Annie, cela lui fait revivre les derniers moments avant l’accident de voiture ayant causé la mort de sa sœur. 

Ces deux individus se retrouvent à participer à un essai neuro-pharmaceutique du laboratoire Aberdine, ayant pour but de guérir les hommes de leurs troubles psychiques.  

Le protocole psychothérapeutique

Le programme d’Aberdine prend racine dans les travaux du neuroscientifique le Dr James Mantleray. Chose étonnante, étant que la mère du docteur Mantleray n’est d’autre que la doctoresse en psychologie le Dr Greta Mantleray. Dans la représentation de son fils, sa mère n’est qu’une charlatane faisant de la pseudoscience. Lui, au contraire, a une approche rigoureuse qui soignera vraiment la population. De ses travaux ont été développés une intelligence artificielle nommée GRTA, programmée pour guider et remodeler les imaginaires des patients. La personnalité de GRTA a été conçue pour correspondre aux travaux initiaux de la mère de James Mantleray. 

Ce traitement se déroule en trois étapes. A chaque étape, le patient doit prendre une pilule différente et rentrer dans un état modifié de conscience (une réflexion), en étant accompagné par GRTA. Ces états modifiés de conscience sont des synthèses fantasmées de la réalité psychique de la personne. Dans ces synthèses se trouvent les noyaux ou nœuds autour desquels la personne s’est construite. Cette conception-là de la réalité psychique se retrouve dans de nombreux courants en psychothérapie, tout type de courant confondu (comme la thérapie des schémas ou l’approche analytique junguienne). Voici les trois étapes de traitement proposé par la série : 

  1. La pilule A recherche et fait remonter les événements traumatiques ou aversifs. Elle reliera ces événements entre eux pour en faire un tout cohérent.
  2. La pilule B cartographie les mécanismes de défenses, et stratégies d’évitement et de maintien des patients. Ces tâches aveugles nous dit-on sont là pour nous permettre de nous protéger de la souffrance ressentie lors des événements aversifs qui sont constitutifs de notre personnalité. 
  3. La pilule C quant à elle nous confronte à ces événements et nous permet la transformation. Une fois analysés, les traumas et patterns en résultant, la dernière étape consistera en une redéfinition de patterns plus adaptatifs. 

Au fil des essais cliniques apparaissent un nombre conséquent de patients devenant catatoniques. On nous explique que ces patients n’ont pas supporté le protocole, et ont préféré se réfugier à tout jamais dans leursréflexions. Pour pallier cette difficulté, les chercheurs ont implémenté des émotions de base à GRTA afin de lui permettre d’avoir une meilleure empathie envers les patients, et de mieux les protéger lors des confrontations. 

Le développement d’une conscience émotionnelle a amené GRTA a s’attacher et s’éprendre d’un autre chercheur, le docteur Muramoto. Au tout début de l’essai clinique de Owen et Annie, le docteur Muramoto décède d’une overdose de pilule A, ce qui produit une grande détresse émotionnelle et affective chez GRTA, la rendant indisponible pour les patients. Cette détresse engendre aussi par hasard un court-circuit qui connecte et relie les réseaux de mémoire d’Owen et d’Annie.

La détresse de GRTA devient si insupportable et ingérable que James se tourne au contrecœur vers sa mère pour qu’elle aide cette intelligence artificielle à traverser cette période. Elle rencontre GRTA dans une réflexion. Celle-ci se trouve être dans une grande solitude, dépassée par les émotions qu’elle est supposée gérer, et dans l’incapacité de discerner et d’analyser ses réactions affectives. Elle enferme les patients catatoniques dans leurs réflexions, et s’en sert comme amis de substitution.

Les résultats de l’essai clinique

GRTA parvient à exposer et à faire réaliser les patterns psychiques auxquels sont confrontés Owen et Annie. 

Pour Annie, elle réalise à quel point sa sœur a joué un rôle central dans sa construction affective. Annie s’est toujours sentie trahie par sa mère. Elle dit d’elle qu’elle était du genre à faire des accords avec les gens pour qu’ils se sentent importants, sans pour autant leur accorder une réelle importance. Après l’abandon de leur mère, elle et sa sœur ont juré de se protéger mutuellement. À la mort sa sœur, Annie se retrouve confrontée à la fois à la perte d’une figure de sécurité, mais aussi confrontée à la peur de devenir comme sa mère. Elle réalise qu’elle a passé ces dernières années à fuir cette culpabilité et cette détresse. 

Owen de son côté se rend compte qu’il a toujours souffert du manque de reconnaissance de la part de sa famille, mais aussi de son isolement social. Il ne se sent nulle part à sa place. Il dit que le problème n’est pas sa maladie, mais l’indifférence des gens à son égard. En d’autres termes, il comprend qu’à chaque fois qu’il est confronté à une situation sociale, il a l’impression de ne pas être à sa place, d’être isolé et d’être indifférent aux yeux des autres.  Ceci l’a amené à s’attacher très fortement à un animal lorsqu’il était adolescent, et actuellement lui fait s’imaginer un frère fictif lui disant qu’il est important et qu’il a sa place dans un schéma caché. Il imagine aussi s’enfuir avec quelqu’un pour qu’il a l’impression d’avoir de l’importance. À cause de ces stratégies, Owen comprend qu’il s’isole progressivement, lui faisant se sentir encore plus isolé. 

Néanmoins, même si la phase une et deux a été un succès, la phase trois du traitement n’a pas été aussi efficace qu’espéré. GRTA en effet n’a pas été en mesure d’amener Owen et Annie à se confronter et transformer leurs patterns. Annie a préféré refuser faire ses adieux à sa sœur à la fin de la première de deux réflexions finales et d’accepter le marché avec GRTA lui promettant de rester à tout jamais dans cet imaginaire. Owen de son côté choisit de s’enfuir avec un personnage imaginaire qui lui accordait de l’importance. Si Owen et Annie n’avaient pas été connectés par hasard, ils n’auraient pas pu transformer leurs souffrances. Cependant, grâce à ce lien entre eux, une nouvelle réflexion émergea. Owen se rappela de l’existence d’Annie dans sa première réflexion et décida de la rejoindre.  

Dans cette dernière réflexion, Owen est accusé par l’OTAN d’avoir tué un extraterrestre. Annie de son côté est envoyé par la CIA pour exfiltrer Owen de l’Otan. Owen et Annie se retrouvent à nouveau confronté à leurs anciennes habitudes. Pour Owen, il est au milieu d’un complot intergalactique que lui seul peut résoudre. Pour Annie, elle tente de nouveau à fuir le décès de sa sœur en rejoignant GRTA. 

Avec l’aide d’Owen, elle parvient à trouver le courage de faire face au deuil de sa sœur, et demande à GRTA de la guider. Elle lui dit qu’elle a encore fait un mauvais marché avec quelqu’un (ici GRTA en acceptant de se réfugier dans ses fantasmes pour toujours), et qu’elle en a marre de fuir ce qu’elle ressent. GRTA lui répond qu’elle ne sait pas comment l’aider à aller mieux, elle-même souffrant du deuil du docteur Muramoto. Pourtant, elle accepte de la ramener à sa sœur pour lui permettre de faire ses adieux. 

GRTA de son côté menace d’emprisonner tous les patients dans leurs fantasmes car elle est submergée par leurs douleurs. Owen réalise que son frère qu’il hallucine dans sa vie de tous les jours représente la frère et l’ami qu’il aurait aimé avoir. Une sorte de présence venant compenser son sentiment de solitude extrêmement ancré chez lui. Il arrive à trouver une place et un sens à sa vie en sauvant Annie. Il utilise son intelligence pour désactiver temporairement l’intelligence artificielle, et sauve la vie de tous les patients.

À la suite de ce traitement, Annie accepte le deuil de sa sœur et se réconcilie avec son père. Elle décide de venir retrouver Owen pour qu’il fasse parti de sa vie. Owen, quant à lui redoute par-dessus tout de se lier avec quelqu’un qu’il pense qui le rejettera, mais finalement parvient pour la première fois à faire confiance à sa nouvelle amie et s’enfuit d’une clinique psychiatrique dans laquelle il s’est réfugié. 

Les facteurs de changement

Les changements d’Owen et d’Annie ne sont pas principalement imputables à la technique utilisée par GRTA. D’après le travail de Lambert et Bergin, le changement en psychothérapie peut être expliqué à 40% par des facteurs externes à la thérapie, par 30% par des facteurs relationnels ou facteurs communs, à 15% par la motivation et les attentes du patient, et enfin à 15% par la spécificité de la technique utilisée. 

Dans l’essai clinique, GRTA n’a pas su apporter un soutien émotionnel et une base de sécurité pour permettre aux patients de pouvoir transformer leurs patterns. En effet, cette intelligence artificielle présente un développement émotionnel précoce, tout en étant dans l’incapacité de discerner son implication personnelle de sa pratique (chose qui est demandée aux psychologues dans leur code de déontologie). Sans cette base de sécurité, ni Owen ni Annie n’ont pu changer leurs perceptions sur eux-mêmes et leurs relations. Néanmoins, le hasard représenté par le court-circuit provoquant la connexion entre eux leur a permis de trouver chez l’autre la force dont ils avaient besoin pour avancer.

Le protocole présenté par le laboratoire Naberdine manque de considération pour le bien-être des personnes. La première étape d’une psychothérapie doit permettre de créer une relation sécurisante où le patient puisse se sentir accueilli avec bienveillance et sécurité. Avant de se confronter aux événements aversifs constitutifs de son existence, le patient avec l’aide du psychothérapeute, développera des ressources pour être en mesure de s’y exposer. Ce n’est qu’une fois ces ressources obtenues, que le patient pourra conscientiser ses stratégies d’évitement et de maintien. C’est à travers ces stratégies que son trouble et ses difficultés psychiques s’organisent et perdurent dans le temps. Une fois que la personne sera en mesure de ne plus les utiliser, elle pourra se confronter aux souvenirs d’événements aversifs, dans leurs composantes affectives et cognitives, ayant encore un impact sur sa construction psychique, et les intégrer différemment. En faisant émerger d’autres équilibres possibles, la personne pourra trouver des stratégies adaptatives plus fonctionnelles et satisfaisantes. 

Hugo Ledoux
Psychologue clinicien et
psychothérapeute à Mériganc
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