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Résilience, crise et changement

Nos représentations, un outil pour agir dans un environnement complexe

L’individu né inachevé. Il ne naît pas telle une feuille blanche sur laquelle l’environnement s’inscrit, mais né en étant acteur et différencié, de par sa composante génétique qui le constitue. Il va notamment être constitué de systèmes motivationnels innés, dont certains se développeront tout au long de son évolution. On peut citer le système d’attachement, de peur, de caregiving (prendre soin des autres), d’exploration, de régulation homéostatique (la faim, le sommeil, la température), de jeu, le système sexuel.

L’environnement est trop complexe pour être appréhender dans sa globalité. Pour le percevoir, puis le comprendre, l’individu doit interagir avec lui. De par son interaction, il va construire des schémas, des représentations sur ce qui est censé se produire. Ce que l’individu percevra de son environnement, n’est pas l’environnement lui-même, c’est-à-dire les objets qui le constitue, mais le sens que possède ces objets pour lui, et ce en fonction de sa réalité subjective, ses représentations antérieures et de l’activation d’un ou plusieurs systèmes motivationnels, le reste sera non perçu et donc non représenté.  En effet, notre attention étant limitée, nous choisissons à quel stimuli perceptif nous prêtons attention et quel sens nous lui donnons parmi tout ceux qui sont possibles.

On peut concevoir les représentations que possèdent chacun comme un moyen de pouvoir agir sur son environnement. De par leurs stabilités, elles offrent la possibilité de pouvoir être perçu comme plus prévisible par autrui, et ainsi d’être considéré comme quelqu’un de fiable. Ceci permet la coopération entre les individus et permet aussi de réguler ses émotions. Si la représentation s’avère vérifiée, c’est-à-dire qu’il y a une correspondance avec ses attentes, alors émerge des émotions positives. Ces représentations sont un garde-fou contre l’inconnu et l’incompréhensible. Lorsqu’elles ne sont plus opérantes, c’est-à-dire dès qu’il y a une incohérence entre ce que la personne perçoit à partir de son orientation et ce qu’elle attend du monde, il va émerger une réponse de stress. Ce qui autrefois permettait de mettre du sens et de l’ordre n’est plus d’aucune utilité, et apparaît de manière massive ce qui auparavant était occulté. Lorsque le stress dépasse ses capacités d’adaptations et sa fenêtre de tolérance que l’on définira plus bas, la personne vivra cela comme un danger. Si la personne arrive à identifier ce qui menace sa représentation du monde, elle pourra enclencher une réponse combat/fuite. Si elle n’est pas en mesure de l’identifier, c’est-à-dire si son système de représentation n’est pas assez mature ou préparé pour intégrer cette nouvelle donnée, la personne va se figer pour essayer d’être la plus vigilante possible afin de comprendre ce qui est en train de se passer. Cette rupture pourra laisser des traces ultérieures sur le fonctionnement quotidien de la personne, et altérer sa représentation d’elle-même, des autres et du monde. Cette incompréhension ne lui laissera aucun répit jusqu’à ce que la personne intègre ce qui s’est passé. 

La crise, un phénomène adaptatif

Au fil de son développement, l’individu va vivre une multitude d’événements et d’aléas qui vont mettre en crise son fonctionnement et ses représentations. En fonction de ce fonctionnement adaptatif, il va être en mesure d’actualiser de cette crise ses schémas et ses représentations, ou d’en faire émerger de nouveaux. Ce caractère vertueux de la crise dépend de la capacité d’un individu à tolérer au niveau cognitif et émotionnel ce caractère désorganisateur de ces expériences, et à être en capacité de les intégrer. Cette capacité se nomme la fenêtre de tolérance. Au fil de l’intégration de nouvelles crises, l’individu va augmenter son niveau d’adaptation et de complexité. 

La crise peut être considérée comme la conséquence d’une perturbation extérieure, comme par exemple par l’augmentation des demandes et contraintes de l’environnement sur l’individu, ou la mise en échec des représentations par l’apparition de phénomènes incompréhensibles. Elle peut également trouver son origine dans une perturbation interne, se manifestant par l’augmentation de la conflictualité psychique (par exemple entre nos émotions, nos systèmes motivationnels, nos valeurs, nos besoins, etc), ou par l’apparition de nouvelles propriétés internes (la puberté, la perte d’autonomie, une rupture affective, etc)

Résilience et adaptation

On pourrait proposer de conceptualiser le fonctionnement adaptatif d’un individu face aux aléas sur un axe dimensionnel, où d’un côté il y aurait la fragilité et de l’autre l’antifragilité, avec au milieu la résilience. 

On entend beaucoup de choses concernant la résilience, sans pour autant savoir ce que cela signifie véritablement. C’est Boris Cyrulnick qui a popularisé ce concept en France, bien qu’il n’en soit pas l’inventeur. La résilience peut être définie de différente manière en fonction des auteurs. Elle est à la fois considéré comme quelque chose inhérent à nous-même, c’est-à-dire comme « la disposition d’un individu à poursuivre un développement harmonieux malgré la confrontation avec des expériences adverses et stressantes » (Connor & Davidson, 2003), ou comme quelque chose qui se construit au cours du temps, « Un processus adaptatif et dynamique qui permet de maintenir ou de regagner rapidement l’homéostasie en condition de stress » (Rutten, 2013) . Sur le plan symbolique, on peut concevoir la résilience comme le phénix qui renait de ses cendres après sa mort. Il conserve son homéostasie, son équilibre interne, malgré l’usure du temps et de l’adversité. La résilience est différente de la fragilité et de son opposé, l’antifragilité (concept créé par Nassim Taleb). 

La fragilité peut être conçue comme les facteurs internes et externes, qu’ils soient innés ou acquis, qui fragilisent la personne en la rendant vulnérable aux aléas de la vie, d’autant plus si ce sont des événements potentiellement traumatiques. Ceci l’expose à avoir un fonctionnement moins adaptatif lorsqu’elle sera confrontée à des événements stressants mettant en crise son fonctionnement.

L’antifragilité quant à elle se comprend comme l’inverse de la fragilité. C’est l’hydre dont les têtes repoussent à chaque fois que l’une d’entre-elles se fait couper. On peut dire que ce sont ces même facteurs que ci-dessus qui améliorent le niveau de fonctionnement cognitif, émotionnel, comportemental et social de la personne suite aux chocs et aléas de la vie. 

Crise et changement 

Dans un environnement complexe et changeant, nous sommes poussés en tant qu’individu à rechercher à la fois la stabilité et la cohérence, nous permettant d’agir sur le monde, et en même temps accepter le changement et l’incertitude pour nous permettre de mieux nous adapter à son évolution. Dès lors que l’une de ces deux dimensions prend l’ascendant sur l’autre, nous sommes en situation de fragilité. Pour nous adapter correctement à notre environnement, il est nécessaire que ces deux aspects soient équilibrés dans notre représentation du monde, dans notre vie émotionnelle et affective, et dans notre relation avec nos proches. C’est cet équilibre qui permet d’agrandir notre tolérance aux caractères désorganisateurs des expériences nouvelles.

Une personne ayant une fenêtre de tolérance suffisamment grande pour intégrer la nouveauté va pouvoir s’engager et se confronter à elle, et ainsi améliorer son fonctionnement adaptatif. En situation de crise, ce fonctionnement adaptatif va lui permettre de retrouver son fonctionnement initial. Dans le cas où la personne n’ait pas une fenêtre de tolérance assez importante pour permettre l’intégration, la personne va se rigidifier (c’est-à-dire perdre des capacités de changement et de flexibilité par rapport à son état initial), voire même se désorganiser.

Dans cet état de désorganisation, les structures cognitives antérieures permettant de donner du sens au monde s’écroulent petit à petit, ce qui diminue encore plus la capacité d’un individu à agir sur le monde et à s’orienter à travers lui. Plus grave sera la désorganisation, moins le fonctionnement adaptatif et la complexité psychique de l’individu seront importants, réduisant ses capacités à faire-face aux nouvelles crises et l’exposant à développer des troubles mentaux. Cette désorganisation, c’est-à-dire cette diminution de la complexité psychique, va remplacer les anciennes représentations par des moins adaptées, comme des conceptions erronées sur le fonctionnement émotionnel, l’utilisation plus importante de biais cognitif, le recours à des mécanismes de défenses moins matures, un rapport à soi ou à l’autre dysfonctionnel. Par exemple, une personne ayant vécu de nombreux traumatismes psychiques aura une moins bonne capacité de régulation émotionnelle et une vision d’elle-même et des autres négative, diminuant ainsi sa stabilité psychique et relationnelle, ce qui réduit sa fenêtre de tolérance et l’expose in fine à être plus vulnérable à d’autres réactions traumatiques face à des événements potentiellement traumatiques.

Conclusion

La crise peut ainsi être à la fois quelque chose de bénéfique, comme délétère en fonction des ressources psychiques et sociales dont dispose l’individu. Une conscience accrue de ses vulnérabilité (qui correspondent à la symbolique des dragons comme on l’a vu dans un précédent article) et ses ressources nous permettent de mieux nous préparer à l’adversité et d’apprendre à prendre soin de nous-mêmes 

Hugo Ledoux
Psychologue clinicien et
psychothérapeute à Mériganc
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