Prendre rendez-vous en ligneDoctolib

Qu’est-ce que Breaking Bad a à nous apprendre sur notre Ombre ?

Breaking Bad, que l’on pourrait traduire par mal tourner, est une série réalisée par Vince Guiliam en 2008. Récompensée de plusieurs oscars, tant pour la réalisation, la direction artistique que pour le jeu d’acteur de Bryan Cranston et Aaron Paul, elle est pour beaucoup l’une des meilleures séries jamais réalisée. Par l’étude de cette série, nous allons expliquer un concept de la psychologie analytique : l’ombre.

C’est l’histoire d’un homme qui s’approche de la cinquantaine. Walter White, professeur de chimie dans un lycée de banlieue s’ennuie de sa vie. Dépeint comme un homme brillant dans sa jeunesse, il a choisi la voie de la sécurité.

À l’université, c’était un brillant chimiste. Il a collaboré avec Eliott Schwartz et Grentshen, son assistante de laboratoire. A eux trois, en se basant sur les recherches de Walter, ils forment Gray Matter Technologies. Walter, alors jeune et fauché à cette période accepte de revendre ses actions pour une bouché de pain à Eliott. Il quitte l’entreprise qu’il a créé et devient professeur dans une lycée. Il épouse Skyler, et devient père d’un garçon ayant un handicap. Durant cette période, il apprend que Gray Matter Technologies est devenu une entreprise florissante cotée en bourse de plusieurs millions de dollars. Walter considère que son travail lui a été volé et blâme ses anciens collègues pour cela. Toute sa vie tournera autour de subvenir aux besoins de sa famille, jusqu’à oublier ses rêves et ses ambitions. Il ira jusqu’à prendre un second emploi dans une station-service pour rembourser son crédit immobilier.

A l’aube de ses 50 ans, il apprend qu’il est atteint d’un cancer. Walter ne pense qu’à une chose, comment mettre sa famille à l’abri. Comment payer le traitement sans que cela en coûte à sa femme, son fils, et sa prochaine fille.  Il cache son état de son santé à tout le monde pour les protéger. Il est pris par un fort sentiment d’injustice, lui qui s’est toujours rangé « du bon côté », lui qui tâche de respecter les autres quitte à se soumettre. Ses amis ne le respectent pas en tant qu’homme, et se moquent de lui. Il est invisible et seul face à ce dragon qui vient d’émerger : le cancer. À ce moment de sa vie, c’est le personnage parfait de l’homme qui s’est oublié dans tous les impératifs sociaux. Il n’a plus vraiment de désir pour sa femme, ni de désir pour sa propre vie. Il est piégé dans un quotidien oppressant, ne lui offrant aucune perspective.

Pourtant, il va lui arriver deux choses qui vont bousculer sa vie. Le premier événement est l’anniversaire d’Eliott, son ancien partenaire. Il arrive dans une maison somptueuse, avec des gens n’appartenant pas au même milieu social. Il est confronté aux regards de ceux qui auraient pu être les collègues de la vie qui lui été destinée. On lui demande ce qu’il fait dans la vie, il répond professeur dans un lycée, les regards sont gênés, c’est intolérable pour lui. Il en vient à parler de son état de santé à celui qu’il pensait être son ami. Celui-ci pensant bien faire lui offre de l’argent pour couvrir les frais médicaux. Walter se sent insulté dans sa dignité d’homme, du moins, de ce qu’il en reste. Cela en devient insupportable.

Puis, peu de temps après, en accompagnant son beau-frère Hank Shrader, agent de la DEA ; lors d’une descente de police il croise le chemin d’un homme qui changera sa vie pour toujours : Jesse Pinkman. Jesse est d’abord un ancien élève de Walter.  Élève peu investi, vendeur de drogue et ayant des comportements autodestructeurs. C’est l’adolescent rebelle qui recherche tout ce qui est possible pour combler sa solitude et son mal-être. Il va trouver chez Walter un ami, un mentor mais aussi un père de substitution. Ces deux hommes vont se réunir autour d’un projet : vendre de la méthamphétamine pour permettre à Walter de mettre sa famille à l’abri. Walter se convainc que c’est temporaire, juste pour payer sa chimiothérapie et pour protéger sa famille du besoin. Brillant chimiste, il arrive à atteindre un niveau d’excellence jamais égalé dans la pureté de son produit. Si pure que cela l’entraine à rencontrer le cartel mexicain et celui de Gustavo Fring.

Au fil des saisons, on assiste à la transformation de ces deux protagonistes. Walter de son côté se révèle à nos yeux comme celui qu’il aurait dû être depuis toujours. Quelqu’un d’intellectuellement brillant et dominant. Plus son développement psychique avance, plus sa moralité s’efface devant les désirs de plus en plus grandiose de l’homme qu’il aurait dû être. Il est mû par son désir de domination et de contrôle, et très vite, même si il a atteint ses objectifs pour initiaux pour sa famille, son désir prend le dessus. Pourtant il ne réalise pas cela, et trouve toujours des excuses pour faire ce qu’il veut. Il va jusqu’à laisser mourir la compagne de Jesse à la fin de la saison 2 pour conserver le contrôle qu’il a sur lui. Et c’est cette sensation de contrôle que recherche Walter, ou plutôt Heisenberg, son ombre qui prend sa place. Il met en échec les deux plus gros cartels qui lui font concurrence et crée son propre empire de drogue. Walter n’a plus peur du danger, car le danger c’est lui.

L’ombre est un concept provenant de la psychologie analytique de Carl Gustav Jung. C’est une métaphore qui représente l’autre partie de nous-même que nous ne connaissons pas mais qui agit à notre insu. Elle est composée à la fois des émotions de notre passé que l’on n’a pas conscientisées et qui influencent nos motivations et nos comportements, des mouvements pulsionnels comme des désirs inavouables, des peurs et besoins que l’on n’admet pas, ou des ressources que l’on n’a pas encore développées.

Jesse quant à lui prend de l’assurance et se révèle à nous comme quelqu’un de bien mais faisant toujours les mauvais choix. Son ombre à lui qu’il arrive à identifier contrairement à Walter, lui montre à quel point il a besoin de l’approbation de l’autre, et surtout de ses parents, mais aussi qu’il peut être attentif à l’autre et bienveillant envers lui. Il s’attache à différents protagonistes et tentent de créer du lien et construire des relations saines avec eux. Sa relation à Walter quant à elle se transforme petit à petit en relation de haine. Il prend conscience au fil des saisons de ce qu’il se déroule en arrière-plan dans celle-ci, jusqu’à tourner le dos à son ancien partenaire et tout révéler à la DEA.

Walter White a pu devenir Heisenberg de par son refus de faire face à ce qu’il désirait vraiment au fond de lui, et son besoin de contrôle et de reconnaissance qu’il n’a jamais pu voir pour ce que c’était vraiment, des moyens de réparer son estime de soi. Au lieu d’avoir pris le temps de prendre conscience que durant ses années de professeur, il était profondément malheureux et à côté de sa vie, il a rejoué cela malgré lui à la fin de sa vie. Son ombre l’a contrôlé jusqu’au moment où il a pu reconnaître à la fin de la série que tout ce qu’il a fait, il l’a fait « pour lui ».

De son côté, Jesse s’est découvert comme quelqu’un pouvant être attentif et bienveillant. Il a pu comprendre qu’il méritait de vivre pour ce qu’il était et non pour la validation des autres. Il a pu apprendre à mieux gérer ses relations et faire le deuil de ses parents, à travers cette relation père-fils qui se rejouait avec Walter White. Durant ses péripéties, il s’est confronté à son ombre et a pu lui aussi s’en détacher.

Breaking Bad nous met en garde contre le plus grand danger que l’on peut rencontrer, c’est-à-dire nous-même. Si l’on n’y prend pas garde et l’on n’y prête pas suffisamment attention, on risque de rejouer en nous et dans nos relations des choses dont on n’a pas conscience. Celles-ci peuvent avoir des répercutions dramatiques sur des chemins de vie dès lors que l’on les laissent se développer dans l’ombre de notre conscience.

Hugo Ledoux
Psychologue clinicien et
psychothérapeute à Mériganc
Rendez-vous sur Doctolib