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Mon Roi, de la relation toxique à la thérapie des schémas

Introduction

Dans cet article, je vais jouer autant que possible le rôle de la psychologue que Tony rencontre au début du film. Nous parlerons au fil de ce texte de la dépendance affective, de la relation toxique qu’elle entretient avec Georgio et de la théorie des schémas précoces inadaptés

Préambule

Je travaille en tant que psychologue dans un centre de rééducation dans le sud-ouest de la France. Ma patiente Tony a été admise pour une rupture des ligaments croisées lors d’un accident de ski. C’est une femme de 40 ans, avocate à Paris. Elle est mère d’un fils de 7 ans, divorcée. Elle a un frère et une sœur. 

Les entretiens avec Tony

Le début de leur relation

Tony s’assoit en face de moi, blessée et abimée. Femme de 40 ans, elle est admise dans ce centre pour rupture des ligaments croisés lors d’un accident de ski. Je lui demande de me raconter son accident. « je skiais trop vite, je ne pouvais pas m’arrêter ». Je la sens ailleurs. Je lui répète ce qu’elle vient de dire « j’allais trop vite, je ne pouvais pas m’arrêter », je vois ses larmes monter. On parle de son genou, et en même temps, on parle de la relation à l’autre. « Le genou est l’articulation nous permettant de faire machine arrière » Ses larmes coules. 

Lors de la séance suivante, elle me parle de sa relation avec son ex-mari Georgio. Elle me décrit un homme rayonnant et hors du commun. Dès sa première rencontre, il n’a pas hésité à briser le codes avec elle. Entreprenant et sûr de lui, elle dit avoir de suite été conquise. Elle me dit qu’au début, tout allait bien entre eux. Il l’amenait partout et la faisait tout le temps rire. Elle se sentait belle avec lui. Ils eurent leur premier enfant au bout de quelques mois, et se marièrent peu de temps après. 

Elle me raconte que lorsqu’elle était enceinte, une ancienne amante de Georgio nommée Agnès est réapparue dans sa vie. Elle se souvient l’avoir déjà rencontrée au début de leur relation, mais qu’elle n’a pas prêté attention à son échange avec elle. « Tu m’as piqué mon mec, bravo » lui avait dit Agnès quelque jours après sa rencontre avec Georgio. 

Les premiers signes 

Elle avait le sentiment d’être tout pour lui, de se sentir importante, et puis Agnès est réapparue dans la vie de Georgio. Elle m’explique que son mari dormait moins avec elle, rentrait tard le soir sans lui donner d’explication. Agnès l’appelait souvent dans la nuit à cette époque pour l’avoir au téléphone ou juste pour lui demander de passer. Tony m’explique avoir douté à ce moment de la sincérité de son mari et sa fidélité envers elle. Elle avait l’impression de le partager avec une autre, et en même temps se blâmait de lui en demandait trop. Malgré tout, elle décida de se séparer une première fois de lui en lui reprochant ses longues absences. 

Lorsqu’elle voulu revenir avec lui, Georgio l’accusa d’avoir des accès de colère et de jalousie envers Agnès. Elle m’explique que soit elle acceptait qu’il la partage avec elle, soit leur relation était finie. Elle accepta de se soumettre à ces conditions. Pourtant, ça n’arrangeait rien pour autant. Elle me dit que durant cette période, elle était tout le temps angoissée, en colère contre lui et irritable, chose qu’il lui reprochait. Elle me raconte nerveusement qu’ils étaient même jusqu’à aller voir un médecin pour recevoir un antidépresseur et un anxiolytique pour la calmer pendant sa grossesse. 

Je remarque à cet instant de son récit qu’elle se considérait comme responsable de sa détresse psychique. C’était elle qui était à soigner pour les tensions et conflits qu’il y avait dans leur relation. C’était elle qui exprimait les conséquences de l’absence de sécurité et de constance qu’il y avait dans leur relation.

Leur relation continuait de se dégrader pour autant. Elle m’explique avec une certaine amertume que Georgio avait pris un appartement à quelques rues de chez eux pour lui donner de l’espace. Il voulait n’être présent que pour les bons moments me dit-elle. 

Je ne peux que m’interroger à ce moment sur la qualité de leur attachement dans leur relation. Est-ce qu’il est possible pour l’un d’être présent et soutenant pour l’autre quand ils se sentent en détresse ? Je l’interroge là-dessus

Elle m’explique que leur relation s’est construire sur des rires et des moments exceptionnels. Il n’était pas du genre à parler de ses problèmes. « J’aimais être à ses côtés, il me permettait de m’oublier ».  En disant cela, elle pleure. « Mon frère m’a pourtant dit qu’il ne l’appréciait pas, je me suis oublié je crois ». « J’ai toujours cru que dans le couple, il fallait se battre pour que ça fonctionne, même s’il fallait accepter les mensonges, ses problèmes de drogues et les tromperies»

Le basculement 

Elle me dit qu’il prenait toute la place dans leur relation et elle l’a longtemps aimé pour ça. 

Je ne peux m’empêcher de me souvenir ces crises d’angoisses qu’elle ressentait lorsqu’il exercerait l’emprise qu’il avait sur elle. 

Elle l’appelait Mon Roi. 

Elle lui a permis de prendre ses distances, et de la tromper avec d’autres femmes. Et c’est elle qui en souffrait. Après la naissance de son fils, elle a continué à prendre du Prozac et du Lexomil (un antidépresseur et un anxiolytique). Elle se souvient qu’elle se sentait à bout. Elle dit avoir essayé à maintes-reprises de le faire changer, et pourtant rien n’y faisait. Il reproduisait toujours les mêmes schémas et finissait par demander pardon en pleurant, et à chaque fois, elle lui pardonnait en lui faisant promettre de changer.  

Après la mort du père de Georgio, il disparu pendant des semaines en Australie. Période pendant laquelle Tony fit une première tentative de suicide. Cela en était trop pour elle. Il n’était jamais là pour elle et son fils.  Il n’y avait plus aucune sécurité relationnelle entre eux. 

Le début de la fin

Voici un souvenir fort éclairant de leur relation que j’ai pu retranscrire : 

En me racontant ce souvenir, je remarque à quel point Georgio avait ce pouvoir de définir leur relation. C’est lui à chaque reprise qui vient réinterpréter les plaintes de Tony et leur donner du sens, chose qu’elle accepte. On remarque aussi qu’à aucun moment il entend son besoin de stabilité et de sécurité. 

Après ce rendez-vous, ils divorcent, mais malgré tout restent ensemble. Il lui montre qu’il a arrêté la drogue, accepte de consulter pour une thérapie de couple, s’excuse. Elle lui pardonne, encore. Elle dit qu’elle avait encore l’espoir qu’il change. Malgré une nouvelle lune de miel, cette période d’accalmie ne dura pas. Les conflits reprirent. 

Tony part du centre de rééducation la semaine prochaine, c’était mon dernier rendez-vous avec elle. 

Elle me rappelle quelques semaines après en m’expliquant qu’elle a revu Georgio dans le cadre d’une réunion de parents d’élève. Elle me dit ce jour-là qu’elle portait la même montre que Georgio lui avait offerte après leur dernière lune de miel. Elle me dit qu’elle voulait qu’il s’aperçoive qu’elle pensait encore à lui. Elle me dit vouloir comprendre pourquoi elle pense autant encore à lui, et le désire malgré tout le mal qui lui a fait, je lui parle de la théorie des schémas. 

La thérapie des schémas

La théorie des schémas, ou thérapie des schémas est une théorie se basant sur la théorie de l’attachementl’apport des neurosciences affectives, et les schémas cognitifs de Beck.

Dans cette théorie, on considère que notre manière de nous comporter, de concevoir notre place dans le monde, de percevoir nos relations aux autres et à nous-même, de construire notre estime de soi, de réguler nos émotions, et de gérer la solitude, est influencée par nos expériences affectives, et plus elles sont précoces, plus fortes sont leurs influences. Lors de l’enfance mais aussi à l’âge adulte, nous avons des besoins affectifs fondamentaux comme la sécurité de l’attachement, c’est-à-dire la capacité d’un adulte à être présent et nous rassurer lorsque l’on se sent en détresse, ou sa cohérence dans ses réponses jours après jours. Il y a huit besoins qui ont été identifié dans cette conception

Si les besoins de l’enfant ne sont pas satisfaits, ou si l’enfant est victime de maltraitance, ou est abusé émotionnellement, physiquement ou sexuellement, cela va non seulement engendrer du cortisol (l’hormone du stress) ce qui est un neurotoxique pour son développement cérébral, mais aussi faire émerger des représentations ou schémas figés qui perdureront dans le futur  Ces schémas précoces vont modifier la perception des relations, mais aussi les comportements. En quelque sorte, cela va filtrer la réalité, un peu comme si on mettait un filtre sur un appareil photo.

Les premiers schémas se construisent durant la période de 0 à 5 ans. Suite à ces schémas précoces, la personne va en développer d’autre. Par exemple, Vous m’avez aussi expliqué que Georgio vous exprimait une peur d’être abandonné lorsque vous le menaciez de le quitter. Ceci pourrait être un de ses schémas précoces.  Vous m’aviez aussi dit qu’il n’exprimait jamais ses émotions. Mais aussi qu’il ne respectait pas les limites et les règles,  et avait des difficultés à gérer la frustration. On peut imaginer qu’il a aussi un schéma « Tout m’est dû », et « inhibition émotionnelle ». 

Les schémas précoces inadaptés - ledouxpsychologue

De ce que vous m’avez dit de vous, j’ai l’impression que vous avez fortement tendance à faire passer vos besoins après les siens, et de le laisser décider de la relation pour vous, qu’en pensez-vous ?

Pour répondre à nos besoins affectifs, nous avons trois solutions, soit on évite, soit on compense, soit on se soumet. Ces réactions se basent sur notre manière ontologique de réagir face à l’adversité. 

Pour Georgio, il compense probablement sa peur de l’abandon en s’entourant, en recherchant constamment de l’attention et l’admiration. On peut aussi imaginer qu’il ne parle pas de ses peurs affectives car au fond de lui il se sent mauvais et imparfait, sentiment qu’il compense en vous montrant toujours cet homme fort et magnétique dont vous êtes tombée amoureuse. Il évite sûrement les situations qui l’activent affectivement en consommant des drogues, en étant toujours occupé par son travail et ses soirées, mais aussi en s’éloignant de vous lorsque vous alliez mal.  

Pour vous, j’ai l’impression que cela a toujours été difficile de vous affirmer dans cette relation. Vous sembliez mettre vos besoins et désirs après les siens, et n’arrivez pas à définir et affirmer ce que vous vouliez de la relation.  J’ai l’impression que vous vous disiez que si vous vous affirmiez vraiment, il vous quittera et cela vous faisait peur. Vous vous êtes accrochée à un idéal d’un couple qui tenait contre vents et marées quitte à vous sacrifier pour lui. Depuis quand vous sacrifiez vous pour les autres ? Quand avez-vous appris qu’il fallait se sacrifier et mettre pour recevoir de l’affection ?

Pour finir notre échange, je voudrais aborder avec vous comment ces schémas s’activent dans notre quotidien. Dans cette conception, on considère que la plupart du temps, nous sommes dans le mode dit de l’adulte sain. Dans cet état, nous sommes en mesure de gérer nos émotions et notre vie quotidienne. Cependant, lorsque certaines situations nous activent, une autre partie de nous s’exprime à travers nous. 

Comme vous le voyez, il y a les modes enfants, les modes parents et le protecteur détaché. Ces modes interagissent entre eux. Par exemple, le protecteur détaché et l’enfant en colère permettent à l’adulte sain d’éviter de prendre conscience et de réaliser les souffrances portées par l’enfant vulnérable. Le parent critique peut se réveiller en situation de performance et activer l’enfant vulnérable en retour. C’est véritablement un écosystème dynamique qui existe entre ces différents modes, mais nous en parlerons plus la prochaine fois.  

La thérapie des schémas va vous permettre d’aller à la rencontre de vos différents modes, et partir explorer et intégrer vos souffrances passées et vous permettre ainsi de les accepter. Par cette intégration, vous arriverez à ressentir à mieux être dans le présent, à vous respecter, à trouver de la valeur à vos yeux, et à arrêter d’être sans cesse attirée par une relation vous faisant souffrir. 

Sur ces paroles, j’entraperçois le sourire de l’enfant heureux de Tony. J’ai l’espoir que le travail va pouvoir commencer à la prochaine séance.  

Hugo Ledoux
Psychologue clinicien et
psychothérapeute à Mériganc
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