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Qu’est-ce que le dragon a à nous apprendre sur le chaos

Le dragon, créature fantastique et multiculturelle, que l’on retrouve à toutes les époques. Créature à la fois terrestre et céleste, un serpent ailé, aux dents acérées comme des rasoirs. C’est un être pouvant être associé aux quatre éléments : la terre, le feu, l’air et l’eau. Il est souvent dépeint comme une créature millénaire ayant été créé par le dieux. À notre époque, le dragon est caractérisé comme le gardien d’un trésor comme dans Bilbo le hobbit, comme une figure de sagesse comme dans L’histoire sans fin ou dans Eragon, comme une force de la nature dans les traditions asiatiques, ou comme une figure maléfique et dangereuse dans les religions indo-européenne  (exemple : Catholique, Égyptienne ou Indienne) à l’origine du désordre et du chaos.

Selon l’analyse de Jordan Peterson dans son ouvrage « Maps of Meaning », professeur de psychologie à l’université de Toronto, le dragon est la condensation des grands prédateurs que l’humanité a eu à affronter. C’est la représentation du danger tapis dans l’ombre, tel le serpent caché dans les sous-bois, le prédateurs aux crocs et dents acérées et l’oiseau de proie. C’est aussi une créature appartenant à notre monde en tant que créature terrestre, mais aussi inaccessible en tant que créature céleste. Cet avatar de la nature, ce dévoreur des mondes potentiel comme décrit dans Skyrim, est à la fois dangereux mais aussi gardien d’un trésor. En affrontant cette force, on risque de se blesser voire de mourir, mais le gain potentiel est de trouver la richesse, la sagesse ou la connaissance.

Par exemple, dans la mythologie égyptienne, Ré le dieu solaire, porteur d’ordre et de vie, affronte toutes les nuits Aphophis représenté sous la forme d’un serpent cherchant à anéantir la création divine et à engendrer le chaos. C’est à la suite de cet affrontement mythique que le soleil peut renaitre jour après jour.

Dans la religion catholique, Adam et Eve avait aussi leur serpent au sein du jardin d’Eden. Ce paradis est représenté comme un jardin entouré de murs sous la surveillance de Dieu. Dans cette analyse de Peterson, il est considéré comme une abstraction d’un environnement humain, c’est-à-dire un mélange de nature et de culture sous la surveillance d’une puissance dominante. Pourtant dans ce paradis, Dieu leur interdit de goûter aux fruits de l’arbre de la connaissance. Le serpent va les inciter à transgresser cet interdit, ce qui les amène à prendre conscience de leur nudité. En d’autres termes, la représentation du danger qui se tapit dans l’ombre, c’est à dire ce qui existe en dehors de ce dont on a conscience, va leur permettre de prendre conscience d’eux-mêmes et de leurs vulnérabilités.

Une autre lecture possible est que la présence d’un serpent, c’est-à-dire un prédateur ou une menace, au sein du jardin d’Eden peut être le signe qu’il est impossible de se débarrasser du mal, même au sein du royaume de Dieu. La civilisation a permis de dresser des murs entre la nature et la culture, nous protégeant des forces naturelles, non humaines, mais aussi des étrangers, ceux qui sont différents de nous. Pourtant même si les serpents ont été chassés, le prédateur perdure dans nos cités au sein des murs. Il existe dans la nature, dans nos cités (notre environnement culturel), mais aussi en nous-même. C’est-à-dire que le serpent, ce danger invisible fait aussi parti de notre nature. Ceci rejoint l’analyse que j’ai faite sur l’ombre à travers Breaking Bad.

Un dernier exemple plus actuel que l’on retrouve autour de cette thématique se trouve dans Harry Potter et la chambre des secrets. Pour rappel, Harry Potter n’est pas un adolescent ordinaire. C’est un jeune sorcier orphelin, qui a perdu ses parents lors d’une tentative d’assassinat par le mage noir dont on ne doit pas prononcer le nom. Cette rencontre avec Voldemort alors tout jeune lui a permis de développer des particularités uniques, même pour un sorcier. Il peut par exemple parler la langue des serpents, et a une certaine connexion avec Voldemort. Cette connexion est constitutive de sa personnalité et pourra prendre le dessus durant le saga se manifestant par un irrespect des règles, de l’agressivité, des sautes d’humeurs, de la rage enfouie. Cette partie obscure vient mettre en question dès le début le choix de sa maison d’appartenance : Gryffondor ou Serpentard, dépeint comme le bien ou le mal.

Durant la saga, Harry est le premier à oser nommer celui dont on ne doit pas prononcer le nom et à alerter le monde de son retour. Il fait face à ce danger imminent épisode après épisode.

Lors de sa seconde année à Poudlard, son école de sorcier située dans un château magique au beau milieu de l’Angleterre, l’esprit de Tom Jedusor (le vrai nom de Voldemort) rôde de nouveau dans l’école. Des élèves sont agressés, retrouvés paralysés et des messages ensanglantés sont peints sur les murs annonçant le retour de vous savez qui. À la fin du film, la sœur du meilleur ami de Harry disparaît dans la chambre des secrets. Cette chambre se situe à un endroit bien particulier du château : dans les sous-sol, à l’abri des regards. On y accède en passant par les toilettes, un point d’eau donc, et on ne peut l’ouvrir qu’en parlant la langue des serpents. Harry finit par trouver cette chambre et descend dans ses profondeurs. Il retrouve Ginny, alors paralysée sur le sol, tenant le journal de Tom Jedusor, artefact magique possédant une partie de l’âme de Voldemort. Harry entend un bruit, le bruit d’un basilic, un serpent magique immense pouvant pétrifier ses proies juste en les regardant.

Cette capacité fait écho au mécanisme de sidération que l’on peut rencontrer lorsque nous sommes sujet à une source de danger trop intense dont on peine à donner du sens. Lorsque nous sommes confrontés à des événements qui dépassent notre vision du monde, des événements qui nous semblaient alors impossible, nous nous figeons en restant en état d’hyper-vigilance afin de tenter de comprendre et d’intégrer ce qui est entrain d’arriver. C’est une manière qu’à notre cerveau de se protéger du stress ressenti en se déconnectant temporairement de la réalité. Suite à ce type d’événement, on peut développer après coup une impression d’être envahi quotidiennement par des pensées ou émotions se rattachant à cet événement traumatique. Ceux-ci peuvent aussi modifier notre rapport à nous-même, à nos relations et à la réalité si le chaos qu’ils engendrent est suffisamment important.

Pour en revenir à cette histoire, Harry a compris qu’il ne devait en aucun cas regarder le basilic en face, mais pourtant il se devait d’être toujours conscient de ses moindres mouvements en regardant son reflet dans l’eau. Il finit par affronter le basilic mais est mordu lors du combat. Même s’il réussit à détruire le journal avec l’un des crocs du serpent, il sait qu’il va mourir empoisonné. Cependant, l’animal compagnon du directeur de l’école, qui est l’un des plus grands sorciers encore vivant, lui porte secours. Ce n’est pas n’importe quel animal, c’est un phénix. Et le phénix a lui aussi une symbolique bien particulière. C’est un animal immortel qui meurt et revit sans cesse en se consumant. Une partie de ce animal meurt pour en laisser une autre revivre. Et grâce aux larmes du phénix, Harry est sauvé et peut révéler au monde le retour de Voldemort.

En d’autres termes, on a encore une fois un héro qui va affronter le serpent ou le dragon qui est tapis dans l’ombre. Le serpent lui permet d’être conscient des dangers qui émergent des profondeurs, et sa rencontre avec lui a des conséquences sur sa vie. Pour s’en sortir, il doit laisser mourir quelque chose pour pouvoir faire naitre autre chose de l’obscurité. 

À travers ces histoires et ces mythes, il apparaît deux réalités qui s’entremêlent. Le monde connu, ordonné, prévisible, qui a été exploré. C’est le jardin entouré de muraille, le château au milieu de la forêt, c’est la lumière incarné par le dieu soleil Ré.  Et il y a l’autre monde, celui qui est dans l’obscurité, que l’on ne connaît pas, pouvant être source de danger, et de noirceur. C’est le monde rempli de serpents et de dragons qui sommeillent dans nos profondeurs et dans notre manque de conscience, un monde fait de chaos et de désordre pouvant envahir le premier.

De la confrontation entre les deux advient une crise où l’individu est en danger, mais a par ailleurs des opportunités de changement et de transformation. L’intégration de ce chaos en ordre permet d’améliorer la conscience individuelle de la personne pour l’amener à mieux s’orienter dans la réalité. En chinois, le mot crise est formé de deux idéogrammes : danger et opportunité. 

Et vous quels sont vos dragons ?

Hugo Ledoux
Psychologue clinicien et
psychothérapeute à Mériganc
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