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Mr Robot, dissociation et traumas

Le contexte

Mr Robot est une série réalisée par Sam Esmail en 2015. Récompensée aux Emmy Awards et Golden Globes, elle est l’une des séries les plus intéressantes qui m’a été donnée de voir, même si elle n’est pas aussi populaire que d’autres chefs-d’œuvre comme Breaking Bad.  En surface, Mr Robot est une série qui a pour thématique la destruction de l’oligarchie capitaliste par un groupe de hackers. Elle traite à la fois de problèmes inhérents au capitalisme mondialisé, à la consommation de masse, aux dangers des big data. Tout ceci n’est en vérité qu’un emballage délicieux recouvrant le véritable sujet de cette série : la guérison psychique de son protagoniste principal Elliot Alderson souffrant de dissociation et de traumas.

Cette série nous présente la vie d’Elliot, ingénieur en sécurité informatique la journée, hacker et redresseur de torts la nuit. Dès la première scène du premier épisode de la saison 1, il dénonce un réseau pédopornographique géré par un patron d’un café new-yorkais. Pendant les quatre saisons, il se révolte, lutte et cherche à renverser les 1% des 1%, ceux qui sont invisibles et qui jouent à dieu sans permission, ceux qui sont au pouvoir. Il leur voue une haine sans nom qui l’anime dans son combat pour détruire cette oligarchie. Pour cela, il est aidé par Mr Robot, un homme d’une quarantaine d’année, à la tête d’un groupe de Hacker nommé F Society (fuck society). 

Ça c’est le contenu, c’est à dire vers quoi s’anime ses mouvements psychiques. Pendant toute la série, on va s’intéresser aux processus qui agissent dans l’ombre. Pourquoi cette haine sans nom contre ceux qui jouent à dieu sans permission ? Pourquoi cette méfiance absolue  et cette paranoïa envers tout le monde ? Pourquoi rejette-t-il toute personne lui montrant un tant soit peu d’affection ?  Pourquoi ce besoin chez lui de protéger les autres d’une vérité qu’ils ne pourraient pas tolérer ?

Elliot présente une psychopathologie singulière. Il a des crises d’angoisses massives, de l’anxiété sociale, des hallucinations visuelles et est sujet à de l’entente de voix. Il ne sait plus distinguer ce qu’il imagine de la réalité et souffre d’amnésie (ne reconnaît pas sa sœur Darlene par exemple, ou à des faux souvenirs concernant des événements importants de son histoire). En tant que spectateur, on ne peut non plus se fier totalement au récit d’Elliot qui nous induit souvent en erreur. Il nous montre uniquement ce qu’il est prêt à vivre en fonction de sa manière de gérer la réalité. Il se drogue pour calmer sa souffrance intérieure et a des problèmes pour gérer sa colère. Il souffre d’une solitude intense et insupportable qui le met à distance des autres. Mais par-dessus tout, Eliott souffre d’un trouble dissociatif de l’identité. 

La dissociation et le psychotrauma

La dissociation est une manière d’appréhender de nombreux troubles psychiatriques liés au psycho-traumatisme, c’est-à-dire des troubles psychiques en lien avec un traumatisme unique, ou en lien avec une succession d’événements traumatiques qui se répète dans le temps. On parle d’événement traumatique pour des abus physiques, émotionnels, et sexuels, pour de la maltraitance, des carences affectives durant l’enfance, ou toutes situations mettant en jeu la vie de la personne. 

Dans cette théorie, on considère que lorsqu’une personne vit un événement potentiellement traumatique, dépassant ses capacités d’intégrations sur le moment, il est fort possible que cet événement ne soit pas intégré correctement par la personne et qu’il devienne traumatique. Ceci est d’autant plus fréquent que la personne est immature, jeune, stressée ou fatiguée.

L’intégration est comprise comme la capacité à synthétiser ses perceptions sensorielles, et leurs réactions sensorimotrices, émotionnelles et comportementales, comme une expérience organisée et cohérente, dont on a entièrement conscience que celle-ci nous est arrivée personnellement à un instant donné, et qu’elle peut, dans le moment présent, être mise en relation de manière réflexive avec notre histoire et notre futur, pour nous permettre de nous orienter et d’agir en conséquence.  

Définition de l’intégration

Les personnes ayant vécu un traumatisme alternent entre des phases de reviviscence de leur traumatisme, où elles vont revivre de manière récurrente, intense et incontrôlée, les souvenirs ou les émotions en lien avec le trauma, et des phases de détachement où elles vont expérimenter une impression d’anesthésie émotionnelle, d’amnésie des événements en lien avec le trauma, et vont éviter toutes situations pouvant le rappeler. 

Une personne traumatisée pourra aussi développer des croyances négatives sur elle-même, sur les autres ou sur le monde (par exemple les autres sont dangereux, ou je suis mauvaise). Elle sera susceptible d’avoir une altération de son éveil ou de sa réactivité, comme développer de l’hyper-vigilance, d’avoir des problèmes de concentrations ou de sommeil, ou bien d’être toujours irritable, nerveuse ou en colère. Dans des cas de traumatisations graves arrivant souvent chez des personnes très jeunes, il est possible (en fonction d’autres facteurs comme la génétique) qu’il y ait des répercussions sur l’ancrage dans la réalité, en développant par exemple des hallucinations étant en lien avec les parties dissociées, ou des symptômes de déréalisation et dépersonnalisation amenant la personne à douter de l’existence de son corps ou de la réalité. 

Elliot présente ici une forme grave de traumatisation précoce lui faisant expérimenter des hallucinations, de l’hypervigilance, de la méfiance envers les autres, une incapacité à créer un lien affectif avec autrui, une profonde haine de soi, de l’amnésie dissociative et des crises d’angoisses envahissantes. 

Pour illustrer la dissociation sous forme de métaphore, un individu intégré peut être considéré comme le seul conducteur et passager de son véhicule. C’est l’unique maître à bord en tous lieux et toutes circonstances. En cas de dissociation, il va y avoir en plus du conducteur des passagers bruyants qui vont s’activer dès lors qu’ils seront confrontés à des situations semblables de près ou de loin aux situations traumatiques. Ces passagers bruyants ne sont que des passagers, mais peuvent altérer grandement le fonctionnement du conducteur dans sa vie quotidienne. Et cela peut devenir très difficile de conduire correctement si nos passagers n’arrêtent pas de nous distraire ou nous interrompre. Dans des cas de dissociations sévères, en plus d’avoir de nombreux passagers bruyants, il y aura au moins deux conducteurs, l’un ignorant ce que l’autre fait et vice et versa. Les passagers et les conducteurs ont chacun des motivations et des perceptions de la réalité différentes. Ils peuvent également avoir un niveau d’autonomie et de complexité plus ou moins développé. Tout ceci peut rendre la conduite extrêmement difficile voire dangereuse. 

Mr Robot et ses traumatismes

Les différentes parties dissociées

Ce qui nous ramène à Mr Robot, le personnage. En réalité, Mr Robot n’est pas une personne à part entière, mais une hallucination d’Eliott. C’est un passager bruyant qui a une grande autonomie et complexité, et qui peut prendre le contrôle pendant une brève durée sans qu’Elliot en ait conscience. C’est le père qu’Elliot aurait aimé avoir. Il est là pour le protéger, prendre soin de lui et lui faire éviter de se confronter à la remémoration de son traumatisme, c’est-à-dire de se souvenir des abus sexuels de son père. C’est lui qui a subi les abus et les violences à la place d’Elliot.

Il y a également la mère d’Eliott qui est un autre passager bruyant qui le ramène à la violence physique qu’il a subit par sa mère abusive. On retrouve les traces de son activation lorsque Eliott a des conduites à risques et autodestructrices. La haine qu’il se voue renvoie à ces expériences précoces internalisées représentées par cette image de cette mère.

Il y a aussi l’enfant intérieur d’Eliott, qui subit les violences de ses parents. C’est cette partie de lui qui ressent cette brutale solitude qui le désorganise dans ses moments de grande souffrance. C’est cette partie de lui muette et non reconnue et isolée qui souffre terriblement.

Et il y a une dernière partie : le Mastermind. Ce n’est pas un passager bruyant mais un autre conducteur qui est au commande depuis le début de la saison 1. Le personnage que l’on croit être Eliott n’est pas vraiment Eliott mais est une autre partie de lui qui cherche à détruire les injustices de ce monde pour protéger le vrai Elliot. Il incarne toute la rage et toute l’agressivité qu’Elliot ne peut tolérer.  C’est lui qui a le contrôle, pas Elliot. Le vrai Elliot est enfermé par le Mastermind dans un monde imaginaire où il est marié avec sa meilleure amie Angela. Il est en sécurité dans ce fantasme.

La transformation psychique d’Elliot

Tout au long de la série, Le spectateur est dans la tête d’Elliot et assiste à sa transformation psychique en tant qu’une partie observatrice silencieuse, une autre partie dissociée de lui-même. La première phrase de l’épisode pilote « Hello friend » nous est directement adressée, et s’en suivra un dialogue entre Elliot et le spectateur brisant continuellement le quatrième mur, comme dans Taxi driver.

Au cours de sa transformation, Elliot prend conscience à la fin de la saison 1 que Mr Robot n’est pas réel et que c’est une hallucination. Il décide aussi de faire face à sa solitude et se saisit de l’aide de Krista, sa psychiatre pour l’aider à s’en sortir. Lors de la saison 2, aidé par Krista, il tente en vain de lutter contre la présence de Mr Robot, ce qui se solde par un échec. Ses tentatives ne font que la renforcer. Nous assistons par exemple à une scène magistrale entre Mr Robot et Le Mastermind autour d’une partie d’Échec. A chaque partie, le même résultat : pat, match nul. L’un ne peut prendre l’ascendant sur l’autre. Eliott prend alors conscience qu’ils sont indissociables et qu’il va falloir faire avec.

La saison 3 signe une alternance entre Mr robot et le Mastermind qui tente chacun leur tour de prendre le contrôle en s’ignorant mutuellement. L’un essayant de défaire les plan du second. Ces deux parties ont une moralité différente vu qu’ils ont expérimenté des chose différentes,  ce qui génère une forte tension chez Elliot. On assiste à une lutte vaine entre détruire l’oligarchie et reconstruire l’économie pour le reste de la population. 

Lors de la saison 4, il réalise qu’il peut s’appuyer sur Mr Robot pour l’aider dans sa vie et accepte de collaborer avec lui. Grâce à cette interaction positive, Elliot peut de nouveau se concentrer pleinement sur son présent et son futur et trouver les ressources psychiques nécessaires pour aller à la rencontre de ses traumas. Il arrive à mettre un terme au plan des 1% des 1% qui jouent à dieu sans permission. Il fait face à ses souvenirs traumatiques, lève son amnésie, arrive à se lier affectivement à sa sœur et à sa psychiatre, puis intègre son trauma.

On pourrait se demander si sa lutte acharnée contre ce groupuscule détenant tous les pouvoirs pourrait être le représentant extérieur des abus sexuels et physiques de ses parents, qui ont de la même façon utilisé de leurs pouvoirs pour jouir de lui sans permission.

À la fin de la série, ni Mr robot, ni le Mastermind n’ont plus de raisons d’exister. Son traumatisme a été pleinement intégré et il n’y a plus rien qui menace Elliot. Ses parties dissociées acceptent de rester en arrière-plan pour laisser le total contrôle au vrai Elliot, celui qui l’on n’a jamais connu. La série se termine où les passagers bruyants et le Mastermind s’asseyent sur des sièges dans une salle de cinéma en regardant le film de la vie d’Elliot, le vrai. La caméra ne fait plus qu’un avec les lumières du vidéoprojecteur et nous nous retrouvons sur l’œil d’Elliot en pleur dans son lit d’hôpital, regardant Darlene sa sœur retrouvant son frère et disant « Hello Elliot ». 

La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité

Dans la théorie de la dissociation structurelle de Van der Hart, on distingue la partie apparemment normale de la personnalité (PAN) et les parties émotionnelles (PE). La PAN est la partie qui est au commande, elle gère la vie quotidienne et ne réalise pas véritablement les traumas passés. Dans ce paradigme, il existe une manière de classifier les passagers bruyants, nommés partie émotionnelle. Les PE peuvent ignorer le vécu des autres parties dissociées, et ignorer que du temps s’est passé depuis le trauma. Ce sont elles qui contiennent les souvenirs traumatiques. 

Il y a les PE dites enfants qui vont représenter les besoins affectifs de l’enfant traumatisé, mais aussi toute sa détresse morale, ses peurs et sa vulnérabilité. Ce sont des parties qui ne sont pas en mesure d’être adaptées dans le monde réel. Elles peuvent par exemple avoir l’impression de ne pas être dignes d’être aimées, qu’elles vont être abandonnées ou qu’elles sont profondément imparfaites. Elles peuvent avoir des besoins de dépendances excessifs, et un attachement anxieux. Ces parties sont bloquées dans le temps de la traumatisation et n’intègre pas vraiment que ce qu’il s’est passé est terminé. 

Il y a également les parties protectrices qui ont pour but de protéger et défendre la personne des agressions perçues de l’extérieur, et de la confrontation aux événements et souvenirs en lien avec le traumatisme. Ces PE vont considérer comme menaçant toutes situations pouvant rappeler de près ou de loin un événement similaire au trauma. Ces situations peuvent ne rien à voir avec lui, mais y être attaché par un élément du contexte. Elles vont éviter les relations affectives proches souvent considérées comme dangereuses. Ces parties ont chacune comme fonction d’éviter à la personne de réaliser pleinement son traumatisme. On peut distinguer trois grands types de parties protectrices : les PE agressives, les PE imitant l’agresseur et les parties soignantes.

Les premières sont là pour défendre l’individu des situations perçues comme menaçantes. Elles vont l’amener à considérer que comme la relation à l’autre est dangereuse, il est préférable de l’éviter (par exemple en évitant d’exprimer ses émotions ou ses besoins affectifs). Cette partie se voit comme forte et autonome criant au monde « je n’ai pas besoin de vous » et se persuadant que « tout va bien dans ma vie ».

Les secondes quant à elles se vivent comme étant les agresseurs en train de se livrer aux actes traumatisants. Elles s’identifient à la maltraitance des parents en internalisant leurs critiques ou leurs brimades. Par exemple, un parent peut très bien faire revivre sans s’en apercevoir les mêmes critiques qu’il a vécus lors de son enfance. Elles peuvent tout aussi bien continuer à l’âge adulte dans un discours interne jugeant et maltraitant « de toute façon je suis un bon à rien », « je ne mérite pas d’être aimé », « je me déteste ». Elles vont juger négativement les besoins affectifs autrefois considérés par les parents comme par exemple « non désirable ». 

Les troisièmes peuvent s’activer pour prendre soin des autres en fuyant ses propres besoins et ses traumas. Cela peut arriver lorsqu’une des solutions trouvée par l’enfant pour éviter les abus ou pour que l’on s’occupe de lui est de jouer au parent avec son propre parent. Cela peut amener la personne à toujours se considérer comme moins importante que les autres, et à en faire toujours plus, quitte à s’épuiser.  

Conclusion

Mr Robot nous montre que pour transformer et guérir de ses traumas, il faut s’y confronter avec bienveillance, c’est-à-dire sans se juger et surtout sans essayer de détruire une partie de soi, mais au contraire en essayant de les comprendre et de collaborer avec. À travers Elliot, la série nous explique qu’il convient d’arrêter d’éviter nos émotions désagréables, pouvant être le signe de parties dissociées, et de les vivre jusqu’au bout lorsque l’on en aura les ressources afin des intégrer ; ressources qui devront être développées par la thérapie. Celle-ci passera ainsi par retrouver du lien avec nous-même, mais aussi avec les autres. De par cette intégration, notre manière d’appréhender nos relations, le monde et nous-même s’en retrouve profondément modifiée. Mr Robot n’est pas seulement une série magistrale, c’est aussi le témoignage fictif d’un parcours de transformation psychique. 

Hugo Ledoux
Psychologue clinicien et
psychothérapeute à Mériganc
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